A propos du respect de la trajectoire des finances publiques déposée auprès de la commission européenne
- christinelavarde
- 30 avr.
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Dernière mise à jour : 5 juin
Séance du 30 avril 2025 CHRISTINE LAVARDE
Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, force est de constater que ce débat s’inscrit dans une dynamique positive quant au contrôle de la dépense publique. En effet, il concrétise la vision d’un Parlement davantage mobilisé dans l’analyse de l’exécution budgétaire – une telle vision avait d’ailleurs guidé la révision de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) en 2021 –, par la fusion du débat d’orientation budgétaire et du débat sur le programme de stabilité en une séquence unique, qui a lieu aujourd’hui, désormais consacrée à l’évaluation.
Ce débat est le premier à s’attacher au contrôle du respect de la trajectoire de finances publiques présentée en octobre 2024 dans le plan budgétaire et structurel à moyen terme, né de la réforme du semestre européen.
La pratique budgétaire elle-même évolue dans une bonne direction depuis quelques mois.
Après deux exercices marqués par d’exceptionnels dérapages des comptes publics, que notre commission des finances a largement documentés, et par une incapacité absolue à freiner l’évolution des dépenses du champ social ou à accompagner efficacement les collectivités face à leurs dépenses contraintes, le PLF et le PLFSS pour 2025 marquent un effort historique de près de 50 milliards d’euros.
Cet effort, principalement porté par l’État, dont les dépenses devraient connaître en 2025 une quasi-stabilité en volume, mérite d’être souligné.
À cet effort de consolidation est conjuguée la construction d’un nouveau cadre de pilotage des comptes publics, qui associe enfin les parlementaires des commissions compétentes.
Un comité d’alerte a été installé le 15 avril ; il faut poursuivre cet élan. En effet, la lecture de ce rapport d’avancement laisse poindre la crainte que, derrière ces évolutions, rien n’ait véritablement changé.
L’heure n’est pas à l’autocongratulation. Je l’ai dit au mois de février dernier, le budget adopté pour 2025 était le pire à l’exception de tous les autres. Nous avons le devoir d’agir pour garantir la soutenabilité de la dette publique, pour renouer avec la crédibilité internationale, qui trop souvent nous fait défaut, et pour répondre aux immenses défis des transitions écologique, numérique et démographique.
Cette exigence suppose d’atteindre la cible inscrite dans le PSMT, à savoir une consolidation de près de 110 milliards d’euros en quatre ans.
En vue d’en assurer l’effectivité, une série de réformes est égrenée pour les années à venir : accélération de la transition écologique, modernisation de notre système de santé, renforcement de la lutte contre la fraude, soutien à l’emploi, renforcement de la compétitivité.
Or, je suis bien obligée de le constater, de PNR (programme national de réforme) en PNR, de PNR en R2A (rapport d’avancement annuel), la documentation des réformes demeure lacunaire ; seule la sémantique utilisée évolue, et encore, à la marge. Ces éléments de langage satisferont peut-être les superviseurs européens, mais, jusqu’à présent, ils n’ont pas permis de rétablir nos comptes.
On peut prédire que des stratégies ou plans pluriannuels, des conventions ou des assises nationales de dialogue, des instances de suivi et de recommandation seront proposés en guise de soutien à ces orientations particulièrement peu précises…
S’y ajouteront de nouvelles méthodes de réalisation des revues de dépenses. Mais il n’y a là aucune innovation majeure ! Entre 1946 et 2017 – j’insiste sur cette dernière borne –, le Comité central d’enquête sur le coût et le rendement des services publics s’est bel et bien préoccupé d’organiser des revues de dépenses. Et l’inspection générale des finances (IGF) a déjà réalisé des revues particulièrement pertinentes, dont on peut se demander si le seul emploi n’est pas de caler les très nombreuses portes du vaisseau amiral de Paul Chemetov. Tout cela n’est pas sérieux !
Si nous pouvons nous satisfaire de l’effort consenti dans le budget 2025, la méthode utilisée pour en déterminer les modalités est à déplorer : des coups de rabot non concertés, des choix de dernière minute, le tout s’inscrivant dans le plus pur confort électoral… Vu la consolidation d’ampleur qui nous attend, la défiance citoyenne ne peut nous laisser indifférents. Le temps n’est plus à la réformette paramétrique heureuse.
J’y insiste, les dépenses sociales ne peuvent plus faire l’objet de simples mesurettes. Pourquoi ne pas refondre entièrement le système français de double couverture dans le sens indiqué par la Cour des comptes dans un rapport de juillet 2021 – on a dû avoir le temps de se l’approprier ! –, via la restructuration du secteur des complémentaires santé et la création d’un bouclier sanitaire unique ?
La sécurité sociale fait mieux que le secteur privé, pour moins cher. Dès lors, pourquoi persister dans un système de double cotisation et de double remboursement ayant prouvé son inefficacité ?
Les dépenses locales, quant à elles, ne peuvent plus être la variable d’ajustement des budgets successifs ni continuer de reposer sur un système devenu illisible, incompréhensible et inapte à favoriser des trajectoires d’investissement ambitieuses comme des efforts en fonctionnement. Fiscalité locale, dotations de l’État ou mécanismes de péréquation n’ont pas besoin d’une énième conférence des parties prenantes ou vague de contractualisation ; ils appellent à une refonte complète.
Enfin, l’architecture de nos finances publiques ne peut plus être conservée en l’état. Une consolidation aussi large que celle qui nous attend doit reposer sur un cadre financier clair, lisible, intégré et pilotable.
Les complexités effarantes du système actuel sont préjudiciables à l’atteinte de nos objectifs. Par exemple, il est strictement impossible, à la lecture des documents budgétaires, d’établir un schéma des transferts de l’État aux collectivités ou à la sécurité sociale ou d’avoir une vue d’ensemble des comptes des administrations publiques, du point de vue tant des recettes que des dépenses.
Si je prends l’exemple des collectivités, pour recenser et retracer les 315 milliards d’euros de recettes des administrations publiques locales, il est nécessaire de réunir un total de sept documents : les prélèvements sur recettes (PSR), figurant dans la première partie du PLF ; les comptes de la mission Relations avec les collectivités territoriales (RCT) au sein de la deuxième partie ; le compte de concours financiers (CCF) « Avances aux collectivités territoriales » ; la fiscalité transférée et les taxes affectées, recensées dans le tome Ier des voies et moyens ; les dégrèvements et subventions, disséminés au sein des missions ministérielles dédiées ; les transferts entre administrations de sécurité sociale (Asso) et administrations publiques locales (Apul), inscrits au seul PLFSS, à l’instar du versement mobilité ; enfin, toutes les recettes locales et subventions européennes, dont le montant est uniquement précisé dans le rapport de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL).
Dans le rapport d’avancement annuel, il est écrit que la trajectoire du PSMT sera respectée grâce « aux réformes ultérieurement présentées par le Gouvernement et adoptées par la représentation nationale »…
Madame, monsieur les ministres, le Parlement n’est pas une simple chambre d’enregistrement. Il n’est pas admissible que le dispositif « anti-CumCum » proposé par M. le rapporteur général, adopté à l’unanimité au Sénat et par la commission mixte paritaire, soit actuellement détricoté par Bercy sous la pression de certains acteurs financiers !
En 1985, Jacques Delors avait osé innover, avec les entretiens de Val Duchesse, qui ont donné naissance au dialogue social européen. Force est de constater que, si les organisations patronales y étaient plutôt hostiles à l’origine, elles ont finalement accepté ce dialogue face à la menace de la Commission européenne – « Négociez, ou nous légiférons ».
Aussi, osons paraphraser Jacques Delors. Notre message est clair : « Réformez avec audace » ; « Réformez, ou nous légiférerons ».